INTRODUCTION
La transe dans le monde malbar fait peur, même aux malbars eux-mêmes qui ne savent pas au fond sa signification. Bien que tout le monde s’accorde à voir son caractère religieux in fine, il s’agira pour nous de comprendre, de tenter une esquisse d’interprétation du monde religieux a la réunion.
D’abord pour commencer faisons simple, le dictionnaire nous révèle ses sens pratiques : Perdre tout contrôle de soi ; délire, exaltation ; État du médium en communication avec les esprits ; état de qqn qui est hors de la réalité ; être en transe, s’énerver, s'agiter. Selon moi, il faut faire la distinction entre la transe du prêtre ou des personnes comme amma qui soignent les gens et la transe des simples dévots car il s’agit de deux mondes culturels à part. Certains parlent de dédoublement, le vécu d'une division ou une multiplication de la personnalité. Mais la question serait plutôt est ce sincère de la part de la personne en transe ? Il nous faudra l’avis de personne de la communauté pour nous guider et enlever les fils d’incompréhension sur ce sujet tabou et mis de côté par certains.
On pourrait même dire qu’il y a un lien avec la vénération de karly. En effet, elle concilie les différents cultes, elle touche la « grande tradition » autant que les cultes secrets, magiques. A la reunion la transe rejoint le monde sacré de la marche dans le feu ou sur des sabres. Ainsi, Le premier dimanche de mai Rezac et Reynaldo invite à la fête marliamen, ou vous pourrez voir un rite assez rare de nos jours : la marche sur neuf sabres aiguisés comme du rasoir. En effet la famille Carpaye met un point d’honneur à garder des traditions qui se perdent. Tous les premiers vendredi du mois il y a cérémonies, en juillet karly, en décembre la marche sur le feu ou vous verrez des femmes faire ce rite éprouvant dont l’origine (peut être liée à la sati ou sacrifice du bûcher des veuves), se perd dans la nuit des temps.
Dans toute religion il y a la transe, au moyen âge par exemple les gens s’auto flagellaient en inspiration pour dieu. C’est là La devotio moderna, un mouvement de réforme et un courant de spiritualité diffusé par les Frères de la vie commune et les chanoines de Windesheim aux Pays-Bas. Cette dénomination est due à Jean Busch, chroniqueur de l'abbaye de Windesheim.
Les esprits appelés par la transe, rebelles à la vie sociale, représente pour Catherine clément des voyants prophétiques.
« On suscite la transe par la danse, ou comme Hitler par la voix ; la consommation de champignons hallucinogènes, d’ergot de seigle-le mal des ardents-déclenchent les visions : alors le corps secoué s’arque en pont hystérique, l’individu en état second rampe ou aboie, réuni à son corps percé, brulé, lacéré, sans ressentir aucune souffrance. »
Dans l’hindouisme, le Dhyâna est un terme sanskrit qui correspond dans les Yoga Sûtra de Patanjali. Ce terme désigne des états de concentration cultivés dans l'hindouisme et le bouddhisme. Il signifie simplement méditation ou contemplation. Patanjali, en fait une étape préliminaire du « Samadhi ». Les deux termes sont inter changés pour désigner ces états de conscience « transcendants ». C’est aussi le flux ininterrompu de conscience sur un objet particulier chez sri Aurobindo.
C’est aussi le flux ininterrompu de conscience sur un objet particulier chez shrî Aurobindo. Ainsi vivekananda, dans la vie de vivekananda par swami nikhilananda parle. Un jour à Islamabad, ses disciples assis autour de lui dans un verger planté de pommiers, le swami face à un taureau furieux prenant deux cailloux dit :
« Chaque fois que la mort s’approche de moi, toute faiblesse me quitte, je n’ai ni peur, ni doute, ni pensée concernant le monde extérieur. Je m’occupe simplement à me préparer à la mort .je suis aussi dur que cela (heurtant les deux cailloux) car j’ai touché les pieds de Dieu ». On le voit la forme de transe rejoint l’état de conscience dans lequel se mettent les esprits religieux pour atteindre le divin. »
Pour Eric auerbach professeur à l’université de Yale, dans « mimésis » aux éditions Gallimard (la représentation de la réalité dans la littérature occidentale), le daimon explique bien la notion de transe.
« Dans l’anthropologie moderne, le démonique désigne une structure psychique grâce à laquelle des forces inconscientes et impétueuse poussent l’individu à agir et le rendent capables d’accomplir des actions extraordinaires en lui conférant le pouvoir de dominer d’autres hommes. Ce concept a été forgé par Goethe qui l’avait appliqué à Napoléon et à Lord Byron. »
Selon moi, la transe correspond plus à un versant de l’esprit humain inconnu du simple quidam et percer à jour par quelques êtres plus intelligent et éveillé. Pour noam Chomsky,
« Le progrès dans les affaires humaines est un peu comme l’alpinisme, vous voyez un sommet, vous peinez à y monter et soudain vous découvrez que plus loin se trouvent d’autres pics que vous n’aviez peut être pas imaginés. »
Souvent, on n’exalte pas mais on bannit la transe, constitué en danse. Ainsi, considérant le corps comme le siège des émotions, les missionnaires en Polynésie ont bannis la danse. (Religion populaire et nouveaux syncrétismes- université de la reunion .2011)
A Bois Rouge, le 2 janvier, la cérémonie commence véritablement quand la divinité annonce sa présence par la transe du marli qui crie l’esprit. Le marli qui boit symboliquement le sang, en fait c’est la déesse qui l’a boit. Il monte sur la lame du sabre et cause langage. La déesse parle à travers lui .l’espace du temple est le lieu de rencontre.
L’Eglise voit tout cela comme païen et lié à Satan. Repris par Claude Prudhomme, en 1864 voilà ce que l’on pensait :
« Le paganisme de l’inde a certains jours ses solennités sataniques. Des jours de saturnales pour ces indiens idolâtres. Les rues de nos villes, les grandes routes sont remplies de groupes payens ou l’on voit le démon représenté, non point par des tableaux ou des statues, mais par des êtres vivants, ornés de colifichets, le corps à peu près nu et peint de couleurs horribles quelquefois avec des cornes et une queue. Des simulacres de temples, de pagodes renferment les idoles. »
(Anthropologieenligne.com/pages/sacrificeI.html)
Olivier Lacombe dans « indianité » semble nous donner une profonde exégèse de la transe.
« L’expérience mystique ne veut pas être une condensation du discours ou de la noèse, même chez Plotin, chez qui pourtant il semblerait qu’il y eut continuité entre la connaissance métaphysique et l’expérience mystique. Mais les Ennéades nous disent qu’il faut rompre avec les exigences les plus normales de l’intellection claire et distincte, que l’âme voit l’un, en brouillant et en effaçant les contours distincts de son intelligence. Pour les mystiques indiens le point terminal du chemin est souvent décrit comme un Samâdhi, une concentration, un recueillement, nirvikalpaka, exempt de construction mentale »
On pourrait peut-être dire que le rite de la marche sur le feu fait partit de la transe rituelle. Beaucoup de légende en disent long, comme le fait de ne pas regarder par un miroir les marcheurs passant sur le brasier étant donné le risque de voir un grand-voile blanc posé sur le foyer.
La marche sur le feu devient offrande. On offre le corps, sans garder de brulure. Certains officiants brahmanes installés en 1970 ont ramenés le temps de préparation de dix-huit jours (dix-huit armées des Kaurava) à onze jours (chiffre réservé à leur caste de brahmes) ainsi qu’une nouvelle légende : celle de Mariam man associée à Madurai veeran. (Version non suivi par les réunionnais)
Le but étant à travers le sacrifice, qui soumet la culpabilité à l’épreuve du renoncement, qui introduit ainsi
« Par la régression a un état d’ascétisme, sans désir, une désintrication pulsionnelle permettant une anticipation du néant, un retour à l’état fœtal, ou de la mort. C’est la renaissance du pénitent » (govindama)
On met à l’épreuve le Kama (le désir). Par exemple, le vel du cavadee expulse ce qu’il y a de mauvais en nous. Il coupe le mal en deux. Cette transe permet un sentiment dépressif, on pleure sans raison, on accède a l’humilité. Selon govindama, l’officiant apparait alors comme unefigure parentale.
« La culpabilité lié à une faute imaginaire crée une angoisse qui fait précipiter auprès de l’officiant en vue de pratiquer le rite. Il y a un besoin de punition ».
Pour Levi Strauss, le mana, « signifiant flottant » est un inconscient sans sujet (d’où flottant). Il fait irruption dans la réalité. C’est aussi le désir (toujours selon govindama), du grand autre. (Du divin).
La transe est aussi un phénomène social, ainsi selon Daniel cité par Barat (« nargoulan »), la sorcellerie (pouvant être rattaché au monde de la transe), a une visée sociale. Le malbar était trop pauvre .il a dû utiliser les dieux et faire peur. Il y a une bataille sociale au sein de la religion.
« Ils déclarent que les malbars riches ne font pas de sorcellerie et que les pauvres en font. Les riches ont fait cela au début pour avoir de l’argent, de nos jours ils veulent s’arrêter. »
Sources :
Florence callandre. le feu religieux.
Bernard sergent .genèse de l’inde.
Gérard mouls . études sur la sorcellerie a la reunion.
Le corps dans le rituel. Yolande govindama.
Bertrand Tailamée
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Mario Samata-Vally (samedi, 01 février 2014 10:15)
Bravo pour ce blog Bertrand ! Bonne initiative !
Longue vie à ce site mon frère !
Emmanuel Soucramanien (dimanche, 26 avril 2020 14:32)
Très beau reportage...
Mais pas vraiment de réponse concrète au phénomène de la transe...
En tout cas merci...